Dans le cadre d’une mission commerciale en Afrique de l’Ouest, je n’ai malheureusement pas eu le temps de faire le touriste bien longtemps, mais un petit arrêt dans les ateliers de Pathé’O, le nom le plus connu de la mode africaine, s’imposait. Ce n’est pas tous les jours que le couturier de Nelson Mandela (!), habilleur des Miss Côte d’Ivoire et de la délégation olympique du pays, peut vous recevoir, répondre longuement à vos questions, vous présenter sa prochaine collection printemps-été dans un mini défilé privé, et poser en prime avec vous. Rencontre avec un créateur acharné, symbole d’un beau succès artistique et commercial africain s’il en est.
Ambiance bruyante d’un atelier qui trime dur. Retailles de pagne tissé avec la teinte distinctive et unique de Pathé Ouédraogo, dit Pathé’O, éparpillées un peu partout. Une bonne cinquantaine d’employés à l’ouvrage à temps plein, dont le brave Al-Assane, qui y bosse depuis 14 ans et s’est élevé au rang de couturier responsable de la coupe.
Il y a aussi la belle Flora, sa « petite sœur » originaire du même coin du Burkina Faso que lui, qui y est à la fois couturière et mannequin! Elle accompagnait d’ailleurs Pathé’O, en sa qualité de mannequin, la semaine dernière à Montréal dans le cadre du Forum Africa 2013 et du défilé (très bien accueilli) y présentant la prochaine collection du couturier. Je veux d’abord savoir comment « Monsieur », comme l’appellent ses dévoués employés, en est venu à la mode. Pathé’O m’offre une réponse qui plonge dans son enfance. Réponse beaucoup plus longue et généreuse que je ne l’espérais. Et combien plus intéressante…
Arrivé en Côte d’Ivoire à l’âge de 14 ans avec son frère à peine plus vieux que lui, les deux gamins ne connaissent absolument personne à leur arrivée. Ils quittaient un village du Burkina Faso qui ne leur avait guère permis d’espérer un avenir à l’image de leurs rêves, pour rejoindre les rives pleines de promesses d’Abidjan, métropole du riche pays voisin. Ils ne se posèrent pas trop de questions avant de partir…
« Vous de l’autre côté, vous vous posez des tonnes de questions. Dans la vie quand on se pose trop de questions, les réponses deviennent multiples et on ne sait plus laquelle choisir. Je ne me suis pas posé autant de questions avant de partir. Ma décision fût ma réponse. Et on a décidé de partir sans même savoir où on aboutirait. » 1 500 francs CFA suffisaient à l’époque pour le train entre Ouagadougou et Abidjan (un des beaux voyages africains à faire en train, soit dit en passant). 3$. Pathéo n’a même pas cela et doit s’arrêter dans une ville frontalière ivoirienne.
À l’image de ces employeurs américains qui viennent en pick-up chercher des travailleurs migrants latinos à un coin de rue ou dans un stationnement, les planteurs ivoiriens arrivaient à Ferkessédougou pour embaucher les travailleurs burkinabè pour des contrats à la semaine, au mois ou à l’année. « Mon frère et moi étions trop petits et on a été laissés de côté… heureusement. 2 jours… 3 jours. Il ne restait à ce moment que 5 d’entre nous alors l’employeur n’eut pas le choix. Il n’offrait que 36 000 francs par année (72$) par contre, logés nourris. Encore peu. Bref, après quelques jours il vit bien lui aussi que nous étions trop jeunes et nous recommanda d’aller travailler dans une rizière qui payait 4 000 FCFA/mois. C’était beaucoup mieux et notre formation en école rurale nous avait même donné un peu d’expérience là-dedans. »
Après un mois, les frangins réclamèrent leur dû et prirent la route d’Abidjan. Ils visaient plus haut! C’est le seul mois de toute sa vie où Pathé Ouedraogo a travaillé pour un salaire. Il ne savait toujours pas qu’il était destiné pour la mode. Il a commencé comme apprenti-tailleur, vivait dans l’atelier de couture, collait les machines à coudre et dormait dessus. C’était une formation et non un travail.
Il a commencé à faire de la couture pour homme. 4 ans. Il s’est mis ensuite à la couture femme et après 9 ans en tout, est sorti de cette formation avec une expérience plutôt complète. Le bouche à oreille l’a conduit de boulot à boulot pendant 6 ans. Et c’est après ces 15 années qu’arriva l’évènement qui allait changer sa vie, et la mode africaine : le concours des Ciseaux d’Or, en 1987. Les thèmes étaient Élégance-Harmonie-Créativité. Il a été le premier lauréat. Et le prix était d’habiller Miss Côte d’Ivoire, qui en était aussi à sa première édition.
Les choses ont accéléré très rapidement. Trop rapidement. Il était toujours seul à l’époque et ne pouvait plus répondre à la demande, ratant de nombreux rendez-vous. Il a fait grossir l’équipe petit à petit, changé le nom de la compagnie pour Pathé’O, et commencé à habiller les plus grands.
À la libération de Nelson Mandela et à son accession au pouvoir, la célébrissime Myriam Akeba, déjà cliente, a offert au jeune président des chemises de pagne tissé teintes à la façon unique de Pathé’O. Ceci a fini d’offrir au couturier la visibilité internationale qu’il connaît aujourd’hui. Son talent a fait le reste pour que le succès perdure. Aujourd’hui, présidents, athlètes, artistes et gens d’affaires du continent sont nombreux à porter les chemises et robes du couturier le plus connu d’Afrique. Notre entretien d’une vingtaine de minutes a d’ailleurs été entrecoupé de 2 visites de femmes d’ambassadeurs à la boutique jouxtant l’atelier; elles venaient faire la sélection finale de tenues pour les réceptions officielles à la résidence.
Qu’est-ce qui distingue Pathé’O?
Nous ne travaillons pas le tissu qu’on va acheter au marché. Nous travaillons les tissus africains et faisons nos propres teintures absolument uniques. Cela donne des couleurs et des imprimés uniques.
Tous ces motifs africains qui reviennent à la mode sur nos passerelles ont-ils un effet positif sur la mode africaine?
Non. Pour moi non. Aucun effet sur nous. Ce n’est pas négatif non plus, comprenez-moi bien. Mais cette mode n’est pas consommée à l’origine. Ce ne sont pas des produits africains. Ce sont les marques occidentales qui en profitent. N’empêche que ça peut servir à montrer que la mode africaine a atteint un bon niveau. Comme en attestent les nombreuses semaines de mode africaines. Afrique Fashion, ici. Le FIMA, au Niger. La Congo Fashion Week ou encore la Nairobi Fashion Week.
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En plus de participer à tous ces événements célébrant la mode africaine, Pathé’O présente et vend aussi ses créations partout à travers le monde. Je vous préviendrai dès qu’il sera de retour au Québec!
Jonathan -xx-
p.s. Vous rendez-vous compte que j’ai serré la main d’un homme qui a serré celle de Mandela (et que je porte comme lui des chemises Pathé’O)!