C’est après une trop longue hibernation que je reviens vous écrire car ce serait gravement pécher que de passer sous silence cette 12e édition du Festival TransAmériques.
Il y a toujours quelque chose de jouissif pour moi à la découverte de la programmation du FTA, festival de danse et de théâtre sans égal pour réunir nos artistes et ceux de partout dans le monde. Ladite programmation, ciselée, précise, ne manque jamais d’ébranler. J’ai constaté sur le terrain comment la sélection des œuvres se faisait : des plus rigoureusement et à l’échelle de la planète entière! Une petite équipe passionnée voit ce qui se fait de mieux ici et ailleurs et nous fait le grand plaisir de nous présenter tout ça à Montréal, territoire autochtone millénaire, comme nous le rappelait Martin Faucher au lancement des festivités, lieu de rencontre et de diplomatie entre les peuples et les cultures. Le FTA l’a bien compris et sa mission est en parfaite harmonie avec son territoire.
Ne perdons pas une minute de plus. Voici mes coups de cœur anticipés.
Kings of War, une des meilleures pièces de théâtre que vous verrez de votre vie!!!*
*Ajout du sous-titre après avoir vu la première! Jusqu’au dimanche 27 alors je vous en prie dépéchez-vous et j’aimerais insister un peu plus que d’habitude pour que vous me donniez votre opinion si vous la voyez, en commentaire ici ou sur Facebook.
Pour que je vous suggère d’emblée une pièce de 4h30, ET la discussion du 25 mai à l’heure du lunch avec Ivo van Hove, son co-créateur belge (l’autre co-créateur, eh bien il est Anglais… et c’est Shakespeare), c’est qu’il faut que je sois plutôt excité. En ce lendemain de mariage royal, retournons quelques siècles derrière vers les ancêtres du prince Harry, j’ai nommé Henri V, Henri VI et Richard III (quoique la filiation de ce dernier a été remise en cause depuis que son squelette a été retrouvé sous un parking de Leicester en 2012, souvenez-vous).
Sans doute la plus anticipée sur les planches montréalaises cette année, cette pièce est la première grande oeuvre théâtrale de l’ère Trump, nous dit le New Yorker, bien que van Hove nous rappelle que celui-ci n’était pas encore au pouvoir à la création de Kings of War. Mais n’est-ce pas là la force de Shakespeare que de parler à toutes les époques grâce à l’acuité de ce regard si juste (et parfois effroyable) sur l’âme humaine, même 400 ans après sa mort?
Nos deux bardes, Ivo et William, sont fascinés par le pouvoir et cette pièce magistrale devrait nous plonger dans notre nature humaine et nous montrer que l’on ne change pas (tant que ça, sorry Celine). Je la vois ce soir et vous confirme cela en rentrant à la maison, même si passé minuit, promis.
Je vous rappelle que vous pouvez cliquer sur tous les liens que j’insère ici pour voir les détails des spectacles (horaires, billets, etc.), qui sont présentés généralement plus d’une fois.
6 & 9, du TAO Dance Theater
Nouvelle coqueluche de la danse contemporaine chinoise, Tao Ye, jeune trentenaire né en 1985, est directeur artistique de TAO Dance Theater, fondée en 2008.
Je suis tenté de dire qu’en ouverture de ce FTA, il nous présente deux œuvres diamétralement opposées mais qui se rejoignent dans leurs extrémités. 6 étant très unifiée, sombre et merveilleusement contrôlée par des danseurs qui pourraient difficilement mieux maîtriser une chorégraphie sans repère perceptible à mes yeux (pas trop de distinctions musicales, pas de dialogue avec les autres danseurs).
Tout cela force agréablement le spectateur à trouver ces repères, ces « cues », tandis que 9 semble un splendide chaos dont on perçoit l’organisation, très circulaire, avec le temps. Même difficulté à distinguer le sexe de tous les danseurs (magnifique inspiration du taoïsme, religion au genre neutre où hommes et femmes sont perçus comme égaux) malgré un éclairage parfaitement opposé à la pénombre de 6, même mouvement final où les 9 danseurs se redressent, essoufflés, pour enfin faire face à un public qui a hâte de les regarder en face pour les applaudir.
Fascinant apprentissage de ce qui attire, avec raison, le (jeune) public chinois ces jours-ci.
Mon voyage initiatique, road trip de 2 semaines il y a 18 ans presque jour pour jour, avec mes 2 meilleurs amis et nos planches de surf sur le toit de notre petite SUV, il a pris toute son ampleur à Tijuana (j’écrirai là-dessus dans un de mes futurs romans). Quand j’ai vu le titre de cette pièce, bien des cloches ont sonné. En m’informant un peu plus, l’intérêt n’a pas baissé d’un iota.
Depuis sa fondation en 2003, le collectif Lagartijas Tiradas al Sol (Lézards épivardés au soleil) explore les frontières entre documentaire et fiction dans diverses formes théâtrales pour révéler les contradictions profondes du Mexique. Gabino Rodriguez a changé d’identité et s’est infiltré dans une usine de Tijuana pour en ressortir avec cette pièce que je m’empresserai d’aller voir… peut-être même avec mes deux boys qui ne sont pas non plus ressortis indemnes dudit voyage de l’an 2000.
Betroffenheit, de CRYSTAL PITE & JONATHON YOUNG
Dévastatrice, puissante, ambitieuse. Chef-d’œuvre percutant. Voici comment l’on nous présente Betroffenheit, hybride danse théâtre rêvé pour le FTA qui suit le combat intérieur d’un grand traumatisé. Une visite aux Enfers sous haute tension. Un homme terrassé par un terrible accident. Comment le corps et l’âme encaissent-ils le choc? L’acteur et dramaturge Jonathon Young et l’électrisante chorégraphe Crystal Pite cosignent ce spectacle sous haute tension.
Coup de fouet émotif et artistique, Betroffenheit, mot allemand qu’on peut traduire par stupeur paralysante, nous catapulte dans la quête obsédante et cauchemardesque d’un être atteint du syndrome post-traumatique. Théâtre et danse se répondent en un jeu brillant, convulsif, qui s’ouvre sur un monde hallucinatoire. Voyage hypnotique dans les zones extrêmes d’un sauvetage douloureux porté par une gestuelle virtuose et une puissante interprétation, la pièce prend les airs d’un cabaret expressionniste peuplé de clowns macabres et de danseurs de carnaval. Empreinte d’ironie, de gravité et d’humour noir, Betroffenheit envoûte et secoue.
Autour du lactume, Réjean Ducharme + Martin Faucher
Toute sa vie, Réjean Ducharme a été présent tout en demeurant caché. Le destin a fait en sorte qu’au moment où il est disparu, un nouveau livre est apparu, surgi du passé : Le Lactume, 198 dessins accompagnés de très « ducharmiennes » légendes, envoyés à un éditeur en 1966, oubliés, redonnés à l’auteur en 2001, puis publiés en 2017. 4 jours après sa mort!!! Le Ducharme libre et fou de ses 23 ans, dessinant et commentant ses révoltes, constats et rêveries au cœur d’un Québec en pleine révolution.
« Comme avec une femme »
« Je hais la sécurité, la propreté, le bon, le vrai, le bien et le beau. J’aime le qui-vive. Il n’y a que celui qui est sur le qui-vive qui vive. » Le Lactume, Réjean Ducharme
Il y a une longue table de travail, cinq piles de dessins, de la musique et, surtout, la comédienne Markita Boies, que Ducharme aimait tant. Avec cette gravité enfantine, un rien moqueuse et sincère à mort, nécessaire pour entrer chez Ducharme, Martin Faucher orchestre un moment ludique et poétique, lumineux et intimiste, empreint d’un immense amour pour la vie, la mort, l’art, la beauté et l’écrivain disparu.
J’ai très très hâte de replonger dans l’oeuvre de cet homme qui m’a montré, adolescent, que l’on pouvait tellement s’amuser avec les mots. Depuis, « J’aime cela quand cela rime. » Et je le dis sans amertume, océantume ou lactume, « Ne prends rien au sérieux si tu ne veux pas souffrir si tu ne veux pas jouir ne prends rien au sérieux ». Le Lactume, Réjean Ducharme.
Non Finito, Système Kangourou
J’ai l’impression que ce spectacle pourrait remplacer une séance chez la psy, que le lendemain matin après l’avoir vu, je vais finalement aller me poser dans un café et pondre quelques pages cohérentes de ce fichu roman. Peut-être mon chapitre sur Tijuana, justement!
Comment se délivrer du poids de ses projets inachevés ? Claudine Robillard accumule depuis son enfance une tonne d’idées en jachère, d’esquisses de créations et d’intentions prometteuses. Qu’elle finit par abandonner. Douloureux constat. Avec sa complice Anne-Marie Guilmaine, elle se soumet à un rituel d’accomplissement devant public. Car la scène n’est-elle pas le lieu de tous les possibles ?
Inclassables, les deux fondatrices de la compagnie interdisciplinaire Système Kangourou détaillent avec une pointe d’ironie un « anti-CV », impressionnante liste de plans inaboutis. Performance autofictive, tentative cathartique, le théâtre devient une captivante plateforme de désirs à assouvir. Un jouissif vivarium de rêves à exaucer. Tout ça me parle.
Préparez-vous à un moment de théâtre unique signé par deux des plus grandes ambassadrices du théâtre québécois : Marie Brassard et Evelyne de la Chenelière.
Dans cette vertigineuse partition à cinq voix, l’ultime murmure, comme un ultime vacarme de la pensée, cherche une réponse aux bouleversements du monde. Dernier combat contre l’indifférence et l’assoupissement du regard, dernier duel entre le repli sur soi et le désir de l’autre, dernier entretien entre morts et vivants. Que faut-il donc croire, craindre ou espérer au cours de cette Vie utile ? Une odyssée résolument théâtrale sur notre manière d’appréhender le temps. Qui passe, inexorablement. 20 mois, 20 ans. Où est la différence? Où est la vérité?
Tom na fazenda (Tom à la ferme)
Depuis le début de cet article j’ai envie de faire des comparaisons entre ce qui se fait de mieux au Québec et dans le monde. Comparer Ivo van Hove ci-dessus et Robert Lepage. Tous deux si grandioses en tout. Tous deux aimant se frotter à l’opéra (la mythologique tétralogie de Wagner qu’ils ont chacun montée avec un retentissant succès, entre autres). Comparer Tijuana de Gabino Rodriguez ci-dessus et, de Christine Beaulieu (qui joue aussi dans La vie utile, soit dit en passant), l’acclamé J’aime Hydro, un « théâtre documentaire » si important pour changer ce qui doit l’être par la culture.
Car à mes yeux, la culture doit évidemment être plus que simple divertissement si elle veut avoir un sens. Les programmeurs du FTA le savent bien. Ils n’hésitent d’ailleurs pas à faire comprendre qu’il faudrait être bien naïf pour croire qu’un poste de directeur des affaires culturelles est un poste qui n’est pas très politique à travers les choix d’artistes et d’œuvres que l’on soutient (wink wink Jessie).
J’en arrive donc à ma dernière comparaison entre le sentiment d’urgence ressenti par un compatriote et partagé par son frère humain à l’autre bout du continent. Je parle du Tom à la ferme, non pas celui de notre compatriote Xavier Dolan qui l’a repris au cinéma en 2013 mais celui de Michel-Marc Bouchard, une des voix les plus importantes de la dramaturgie québécoise.
Au FTA cette année, nous aurons une rare occasion d’être témoins dudit sentiment d’urgence de créateurs étrangers qui s’emparent d’une pièce québécoise. Au Brésil, où le nombre de meurtres homophobes atteint un nombre record, Tom à la ferme de Michel Marc Bouchard acquiert une résonance terrible. Les corps — souverains, sensuels, dangereux — proclament avec une fougueuse évidence ce que l’on veut nier jusqu’à le détruire.
À la mort de son amant, Tom, urbain, sophistiqué, dévasté, se rend jusqu’au fin fond d’une campagne pour les funérailles. Il y découvre une mère qui ne sait rien de lui, ni des amours de son fils, et un frère qui lui sait tout mais qui étouffe la vérité avec une stupéfiante violence. À la ferme, le mensonge est la condition première de la survie. Dans la merde et dans la boue… mais serait-ce le cas partout?
Bon festival chers vous. Bons spectacles! (Et noubliez pas les nombreux partys au QG du FTA pour bien décanter tout ça entouré des artistes et de vos futurs amis festivaliers.)
Au plaisir de vous y croiser.
Jonathan -xx-
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Photos : Jan Versweyveld (Kings of War), WendyDPhotography (Betroffenheit), Caroline Laberge (La vie utile), Ana Claudia (Tom na fazenda)