Samedi, je relaxais au bord de la piscine chez des amis quand Joe se retourna vers moi et me dit « Oh non Loli… » avec des petits yeux piteux. Je savais qu’il venait de recevoir une alerte/mauvaise nouvelle sur son téléphone et je répondis directement « Oh non, pas Bill stp… ». Malheureusement, c’était bien ça, on venait d’annoncer la mort de Bill Cunningham. Pour être honnête avec vous, je ne savais même pas qu’il était à l’hôpital depuis quelques jours, mais à voir le regard de Joe, je savais que ça ne pouvait qu’être ça…
Vous vous demandez peut-être pourquoi ça m’affecte autant? Eh bien, Bill Cunningham était très important pour moi. J’ai quelques autres idoles dans le milieu de la mode: Yves Saint Laurent, Jeanne Beker, Alexander McQueen, Iris Apfel, Suzy Menkes, mais Bill trônait au-dessus de toutes ces merveilleuses personnes. Il avait ce statut particulier parce que pour moi, sa passion pour la mode est inégalée… une passion pure, dépourvue d’intérêts commerciaux, financiers ou même de simple reconnaissance. Bill Cunningham se levait tous les matins, sautait sur son vélo et sillonnait les rues new-yorkaises dans le seul but de photographier des hommes et des femmes qui osaient s’exprimer à travers leurs vêtements. C’est ce qui le rendait heureux.
Bill ne regardait pas l’âge, la taille, l’orientation sexuelle, la religion ou le statut de la personne. Bien sûr, il prenait Anna Wintour et Anna Dello Russo en photo, mais il appréciait tout autant photographier des inconnus… que ce soit dans la rue ou dans les soirées mondaines new-yorkaises.
Quand j’ai lancé le blogue Mode de Rue au clindoeil.ca en 2009, j’étais évidemment inspirée par Scott Schuman, Yvan Rodic ou encore Garance Doré, car ils avaient tous popularisé ce médium, mais j’étais aussi consciente que je n’avais pas leurs talents en photographie… ce que je voulais avant tout c’était observer, repérer et partager des looks que je trouvais beaux. Mon objectif ultime était de documenter le style montréalais en me concentrant sur le vêtement, et non sur la lumière ou la composition. Dans le fond, c’est grâce à Bill que j’ai lancé Mode de Rue… et que j’ai continué à faire du street style sur FashionIsEverywhere. Je trouve d’ailleurs que je n’en fais plus assez, et je vous avoue que ça me manque… mais je vais recommencer (je travaille d’ailleurs sur un projet qui va lui faire reprendre toute son ampleur – et j’ai très hâte de vous en parler).
Mais revenons à Bill, à qui je tiens à dire merci. Merci d’avoir toujours été un être à part, d’avoir gardé ton coeur d’enfant et ton émerveillement quand un défilé de mode te surprenait, merci de ne jamais être embarqué dans la game de la mode, merci de prouver que la mode n’est pas superficielle et qu’elle peut en dire beaucoup sur une société.
De façon plus personnelle, merci de m’avoir permis de croire que je pouvais rester moi-même dans cette industrie. Merci de m’avoir souri chaque fois qu’on s’est croisés à la Semaine de mode de New York. Je pense particulièrement à cette fois où j’ai eu la chance de me retrouver dans un ascenseur avec toi, après un défilé de Jeremy Scott. On était seuls, donc je me suis risquée à te parler et tu as été encore plus merveilleux que je ne l’avais imaginé… on a même pris un selfie ensemble (que je cherche désespérément depuis samedi). Quelques années plus tard, je me suis retrouvée assise à côté de toi au dernier défilé de prêt-à-porter de Jean Paul Gaultier à Paris, cette fois, je n’ai pas osé te déranger parce qu’il y avait déjà trop de gens qui venaient te saluer, mais quel bonheur d’observer ton enchantement tout au long du défilé.
Je ne pense pas qu’il soit possible d’avoir une passion pour la mode aussi pure que la tienne, mais j’espère que celle qui m’anime depuis que j’ai 13 ans restera aussi forte pendant très très longtemps.
Si vous ne connaissiez pas Bill Cunningham, je vous propose de tomber en amour avec lui à travers cette série de photos que je gardais dans mon dossier BILL depuis quelques années. Et si vous l’aimiez déjà, je pense que vous allez adorer revoir tous ces clichés qui en disent long sur sa gentillesse, sa curiosité, sa minutie et cette fameuse passion qui font qu’il manquera à beaucoup de monde. New York ne sera plus jamais pareille sans lui!
Lolitta xx
p.s. Si vous voulez en savoir plus sur lui et son travail, je vous invite à regarder le magnifique documentaire Bill Cunningham New York (que j’ai eu la chance de présenter lors de son lancement au Cinéma du Parc) et à consulter les archives de sa chronique vidéo On The Street du New York Times.